«(…) en 2016 il est préférable de se considérer comme un citoyen du monde»
Jellel Gasteli est un photographe qui n’a plus à faire ses preuves. Cet artiste, représenté par la Michael Hoppen Gallery à Londres et dont l’œuvre «est intimement liée à sa double appartenance culturelle franco-tunisienne», est régulièrement l’invité d’institutions publiques et participe à des évènements culturels consacrés aux artistes africains, comme, entre autres, au Centre Pompidou, à l’Institut du monde arabe (France), à Bamako (Mali), à Lubumbashi (RDCongo), à Francfort (Allemagne), à Washington (Etats-Unis), etc. Donc, pour lui, pas besoin d’appel à candidature, son nom le précède. C’est ainsi qu’il sera le quatrième artiste tunisien présent à la Biennale qui se tiendra du 3 mai au 2 juin prochains.
Tunis-Hebdo : Vous avez été sélectionné parmi quatre autres artistes tunisiens pour participer à la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar. Que ressentez-vous ?
Jellel GASTELI : Contrairement aux quatre autres artistes et néanmoins charmantes amies, je n’ai pas été sélectionné sur présentation de dossier à «l’open call» pour la biennale de Dakar. J’ai répondu favorablement à l’invitation de Simon Njami qui m’a proposé personnellement d’y participer depuis quelques moi déjà. A vrai dire, je ressens le plaisir que j’éprouve habituellement à collaborer avec Simon, comme je l’ai fait par le passé sur plusieurs projets dont notamment, parmi les plus récents, les expositions de grande envergure comme «Africa Remix» ou « The Divine Comedy : Heaven, Hell, Purgatory revisited by Contemporary African Artists ».
«La Biennale de Dakar représente une étape de plus sur mon parcours»
T. H. : Y aviez-vous déjà postulé avant cette édition ? Pourquoi ?
J. G. : Je ne postule pas aux «open call» ni aux «appels d’offre». Je participe ou non à des projets en fonction de la qualité de l’interlocuteur qui me propose d’y participer. Je travaille essentiellement avec les personnes que j’aime, qui aiment sincèrement les artistes, qui ont un propos, une ligne éditoriale sérieuse, des choix pertinents et une écriture rigoureuse. De fait, comme vous l’imaginez, ces personnes sont particulièrement rares, mais à partir du moment où elles me témoignent un véritable respect et me permettent de travailler dans la transparence la plus totale avec une confiance réciproque absolue, je réponds toujours présent.
T. H. : Que représente pour vous cette Biennale de l’art africain contemporain ?
J. G. : La Biennale de Dakar représente une étape de plus sur mon parcours et je ne peux rien prédire, ni spéculer sur la suite sans avoir vécu l’expérience d’y séjourner. Les biennales ont pour vocation de permettre les rencontres entre artistes, mais aussi les rencontres avec les galeries, les critiques d’art, les représentants d’institutions, les conservateurs de musées, les directeurs de fondations, les éditeurs… Je participe également à la Biennale de Marrakech, où je présenterai à partir du 15 avril, à la galerie 127, une exposition de photographies inspirées de carnets de notes inédits sur Marrakech de mon ami Abelwahab Meddeb à qui nous rendrons hommage à cette occasion. Je regrette que la Tunisie ne se soit toujours pas dotée d’une biennale digne de celles qui existent dans le monde. Il y a eu en Tunisie quelques tentatives qui, pour des raisons structurelles ou contextuelles, n’ont pas réussi à affirmer leur identité ou pérenniser leur existence, probablement par manque de vision, de programmation ambitieuse, d’audace ou simplement par manque de financement adéquat.
T. H. : Quelle(s) œuvre(s) allez-vous présenter ?
J. G. : Je vais présenter à Dakar une installation intitulée : «Il n’est pas interdit de sortir du cadre». Cette installation présentera 10 tirages numériques de grand format déposés à même le sol. Rompre intentionnellement avec la présentation sophistiquée de la photographie accrochée aux murs et répondre directement au manque de moyens de production de la grande majorité des institutions en Afrique, m’ont incité à choisir cette manière radicale de montrer des tirages sans utiliser les artifices habituels d’un accrochage. Comme une signalétique au sol, j’ai délimité, par la même occasion, un périmètre de sécurité destiné à éviter de piétiner le rêve.
T. H. : Vous avez déjà participé à des événements en Afrique subsaharienne comme, en 2007, les Rencontres de Bamako, et, en 2010, la Biennale des rencontres Picha à Lubumbashi, en RDCongo.
Qu’avez-vous retenu de ces participations africaines personnellement et professionnellement ?
J. G. : Je retiens plus particulièrement les expériences humaines que favorisent ces évènements. J’y ai rencontré des gens exceptionnels qui sont devenus au fil du temps des amis avec lesquels j’éprouve toujours le même plaisir de nous retrouver pour échanger nos expériences récentes, parler de nos projets et surtout passer des soirées mémorables qui renforcent à chaque occasion des liens solides. Les biennales et les festivals sont finalement de formidables creusets où se tissent des liens étroits entre toutes les nationalités d’Afrique et d’ailleurs sans distinction d’appartenance culturelle. Le fait de partager ces moments nous apprend à mieux nous connaître les uns les autres, à accepter nos différences, souvent dans de grands éclats de rire et toujours dans la bonne humeur. Par conséquent, les artistes se retrouvent dans un rôle de passeurs d’idées et dans celui de la transmission qui permettent de communiquer au plus grand nombre la vertu de la tolérance, du droit à la différence et tous les principes du vivre-ensemble que l’on souhaiterait voir s’étendre à l’ensemble d’un continent et qui pourraient devenir un magnifique exemple pour le monde. Pour conclure, rêver d’un monde meilleur serait, sans le moindre doute, ce que je retiendrai personnellement et professionnellement de mes participations africaines.
Les biennales ont pour vocation de permettre les rencontres entre artistes, mais aussi les rencontres avec les galeries, les critiques d’art, les représentants d’institutions, les conservateurs de musées, les directeurs de fondations, les éditeurs…
T.H. : On peut lire dans votre bio que vous participez «à des évènements culturels consacrés aux artistes africains», mais que faites-vous de vos côtés tunisien et arabe ?
J. G. : En effet, je participe à des évènements culturels en Afrique et ailleurs. Je ne considère pas que le fait d’être africain, tunisien ou arabe soit particulièrement déterminant ou important dans l’œuvre d’un artiste. Revendiquer une appartenance culturelle, identitaire, religieuse ou géographique, ou simplement accoler une nationalité à un statut ne rend pas une œuvre plus pertinente que n’importe quelle autre œuvre produite ailleurs dans le monde. L’art est universel. Que l’on vive en Afrique, en Europe, à Tunis ou à Stockholm ne fait pas forcément de vous un artiste, il me semble. Pour ma part, je suis d’abord photographe avant d’être tunisien, arabe, africain ou français, puisque je suis binational. Je suis donc à la fois tunisien et français. C’est dans cet aller-retour permanent entre les deux rives de la Méditerranée que je me situe et, s’il est vraiment nécessaire de se définir par rapport à une culture, considérons que je préfèrerais me définir comme méditerranéen, plutôt que mettre systématiquement en avant une nationalité. Je considère qu’en 2016 il est préférable de se considérer comme un citoyen du monde, c’est la meilleure preuve d’ouverture d’esprit sur le monde, justement. Pour conclure sur ce point précis, je partage des valeurs humaines universelles avec tous ceux, nombreux, qui partagent ces mêmes valeurs sans distinction de race, de culture, de langue, de tradition, d’appartenance religieuse, culturelle ou géographique. Un artiste est avant tout un être dont la sensibilité, la créativité, l’engagement et l’œuvre expriment des intentions et le plaisir de créer. Et si ce point de vue contribue à bousculer les fragiles certitudes des adeptes béats du conformisme identitaire, c’est parfait.
«Je regrette que la Tunisie ne se soit toujours pas dotée d’une biennale digne de celles qui existent dans le monde».
français, puisque je suis binational. Je suis donc à la fois tunisien et français. C’est dans cet aller-retour permanent entre les deux rives de la Méditerranée que je me situe et, s’il est vraiment nécessaire de se définir par rapport à une culture, considérons que je préfèrerais me définir comme méditerranéen, plutôt que mettre systématiquement en avant une nationalité. Je considère qu’en 2016 il est préférable de se considérer comme un citoyen du monde, c’est la meilleure preuve d’ouverture d’esprit sur le monde, justement. Pour conclure sur ce point précis, je partage des valeurs humaines universelles avec tous ceux, nombreux, qui partagent ces mêmes valeurs sans distinction de race, de culture, de langue, de tradition, d’appartenance religieuse, culturelle ou géographique. Un artiste est avant tout un être dont la sensibilité, la créativité, l’engagement et l’œuvre expriment des intentions et le plaisir de créer. Et si ce point de vue contribue à bousculer les fragiles certitudes des adeptes béats du conformisme identitaire, c’est parfait.
T.H. : Etes-vous photographe ou vidéaste ? Quelle discipline prime sur l’autre ? Pourquoi ?
J. G. : Je suis photographe au sens strict du terme. J’utilise parfois la vidéo dans certaines circonstances si j’estime que la vidéo est un outil en adéquation avec ce que j’ai envie d’exprimer.
Zouhour HARBAOUI