Elle tiendra parole pour cette édition particulière du Dak’Art
Yesmine Ben Khelil est la benjamine des artistes tunisiens sélectionnés pour la Biennale de l’Art africain contemporain, Dak’Art. Pour celle qui possède un master en arts plastiques et sciences de l’art de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, peu importe d’être benjamine ou pas. D’ailleurs elle le dit : «Je ne sais pas si c’est vraiment une question d’âge, mais je fais partie de ceux qui ont commencé à exposer peu après 2011, en proposant des choses assez différentes de ce qui se faisait avant en Tunisie. C’est donc super que des artistes très différents aient été sélectionnés, ça permet de montrer la diversité de la scène artistique tunisienne».
Depuis 2011, Yesmine Ben Khélil s’invite dans différentes expositions, où la jeune fille laisse sa marque. Dire qu’elle a commencé en 2011 serait mentir puisqu’en 2007, ses œuvres ont participé à l’ex- position de groupe «New Generation6 experiments. Centre Saint Charles. Paris, France Video collectifs. Videoforme Festival. Clermond Ferrand, France», et en 2010 au «Putting It All Together : Collage, Montage and Assemblage. Climate Gallery. New York, USA». Mais, c’est après la révolution que Yesmine Ben Khélil va trouver un tremplin à son travail artistique. Déjà, elle participe par son travail aux Rencontres de Bamako : «J’ai participé indirectement aux rencontres photographiques de Bamako en 2011, par le biais d’un projet vidéo de Faten Gaddes qui consistait à faire un montage de plusieurs travaux d’artistes tunisiens dont je faisais partie».
«(…) c’est donc essentiel qu’il y ait des manifestations artistiques de qualité en Afrique, pour que l’on puisse en quelque sorte se définir soi-même, dépasser les clichés auxquels on nous réduit souvent (…)»
Regain d’intérêt Mais sa participation effective à un grand événement du continent sera pour mai prochain, puisqu’elle a été sélectionnée pour le Dak’Art (du 3 mai au 2 juin au Sénégal). «Je suis très contente, c’est la première biennale à laquelle je participe», nous a-t-elle déclaré avant d’ajouter : «Je suis tombée sur l’appel à candidature par hasard, du coup j’ai tenté [ma chance] et ça a marché. Le texte de présentation m’a interpellé, j’ai pensé que ma démarche artistique coïncidait avec les thématiques de la biennale». Et la jeune artiste de continuer : «Cette édition sera particulière, Simon Njami (NDLR : le directeur artistique de cette édition) a comme mission de faire revivre cette biennale. Rien que cette promesse d’un renouveau est une bouffée d’air frais dans l’atmosphère tendue, que l’on vit actuellement. Par ailleurs, on observe partout un regain d’intérêt pour l’art contemporain dit ‘africain’, c’est donc essentiel qu’il y ait des manifestations artistiques de qualité en Afrique, pour que l’on puisse en quelque sorte se définir soi-même, dépasser les clichés auxquels on nous réduit souvent et questionner ainsi l’idée même d’un art contemporain africain. C’est aussi, pour l’artiste, l’opportunité de se situer sur la scène artistique internationale sans avoir l’impression d’être soumis à un jugement ‘spécial’ dans le sens où il arrive parfois que l’on soit jugé selon des critères préconçus».
Repenser un outil de propagande en onirisme…
Yesmine Ben Khélil devrait présenter une série de travaux à partir d’une publication éditée en 1963, comme si elle voulait repenser un outil de propagande en lui donnant une dimension autre que celle utilisée à l’époque. «Le titre [de cette série] est «J’ai tenu parole». Elle a été réalisée à partir d’une publication éditée en 1963. Le document semble être un outil de propagande qui propose une version de l’histoire ‘récente’ de la ville de Bizerte, du point de vue de Habib Bourguiba. Je me suis réapproprié ce document en y intégrant des dessins, préalablement réalisés au crayon et à l’aquarelle, à partir de fragments d’images trouvées sur le net. Il s’agit d’images banales prélevées au hasard de recherches concernant la Tunisie», nous a-t-elle déclaré avant d’ajouter : «Une fois la figure humaine reproduite et prélevée de son contexte, des formes ‘énigmatiques’ aux couleurs pastel, viennent s’y greffer et prolongent en quelque sorte l’image. On peut donc percevoir des personnages dont émane une masse informe et colorée à la fois organique et minérale sorte d’‘extension onirique’, apparaître par-dessous certaines pages dont des morceaux ont été retirés. La série se présente sous forme de six doubles-pages, six portions de livre de différentes épaisseurs suivant le nombre de pages. Ainsi c’est par un jeu de superposition qu’apparaissent les dessins qui semblent comme incrustés dans l’épaisseur du livre».
… pour des lendemains meilleurs
Mais l’œuvre comme toute œuvre s’exprime, parle. Ainsi, «présentée dans l’ordre de narration, la série commence par ‘j’ai tenu parole’ et se termine par ‘des lendemains meilleurs’. A la lecture de ce récit historique si positif et confiant dans l’avenir, j’ai pensé à quel point cela paraissait ironique à la lumière de la situation présente et à quel point les faits d’hier et d’aujourd’hui étaient inextricables. J’ai donc voulu opérer indirectement un genre de montage temporel, dans le but de questionner la nature même des images, celles présentes dans le livre et celles plus actuelles que j’ai trouvées sur internet». La série proposée par Yesmine Ben Khelil ne symbolise rien. Elle est «un questionnement sur l’image» comme nous a dit l’artiste, et sur ce qui peut en découler. «A travers un questionnement sur l’image, je tente d’évoquer le ‘réel’, en partant du constat que l’unique réalité et donc la seule certitude, étant justement l’incertitude et le non-sens», nous a-t-elle expliqué, et de continuer : «Toute ma démarche consiste ainsi à trouver les moyens plastiques de parler d’une réalité tout en ne la montrant pas. En fait, il s’agit plus précisé- ment d’exprimer l’impossibilité de montrer le réel. Ainsi pour chaque projet, je pars d’images de faits actuels ou historiques pour finalement me concentrer sur la manière dont les êtres sont affectés par ces évènements. La plupart du temps, il s’agit de personnages hantés ou physiquement atteints par un monde en dissolution, transformé en flux informationnels, un monde régi par des forces invisibles».
«C’est aussi, pour l’artiste, l’opportunité de se situer sur la scène artistique internationale sans avoir l’impression d’être soumis à un jugement ‘spécial’ dans le sens où il arrive parfois que l’on soit jugé selon des critères préconçus»
Plusieurs projets pour 2017
Yesmine Ben Khélil ne s’arrête pas à sa participation au Dak’Art. «Il y a une exposition collective à l’ICI (Institut des Cultures d’Islam) à Paris en mai. Sinon je suis en train de développer plusieurs projets pour l’année 2017, qui seront visibles j’espère en Tunisie et à l’étranger», nous a-t-elle dit. Oui l’étranger même si l’artiste n’a pas de pays en particulier, et elle conclut : «J’aimerais pouvoir exposer plus en France parce que j’y passe beaucoup de temps et que j’y ai fait mes études. Apres, l’idée c’est quand même de montrer un maximum de ce que l’on fait donc je n’ai pas en tête de pays particulier».
Zouhour HARBAOUI