Soly Cissé, une légende en quête

« La marche des hommes, la marche du monde. Le temps. L’espace. L’espace-temps.

Le temps d’ici. Le temps d’ailleurs. Le temps quantique. Le temps qui n’existe pas. Le temps nommé. Le temps dénommé… La légende pour les enfants devenus. La légende des temps immémoriaux. La légende des temps modernes. La légende de ce temps.

Les hommes si proches des bêtes. Les bêtes si humaines. Méta-morphoses. Mutations chromosomiques. Mutants. Posture d’esthète à un point de courbure de l’espace-temps. » Ainsi parlait… ainsi peint Soly Cissé. Sous le regard du Commissaire d’exposition, l’artiste visuel aura carte blanche lors de la 14ème édition de la Biennale de Dakar. « Lorsqu’il décide de consacrer sa vie à la pratique artistique, Soly Cissé laissait profiler une disposition d’esprit qui l’anime de manière constante : c’est un homme en quête », évoque M. Mbaye. Le critique d’art décèle une quête aux relents poppériens qui définit une vie comme « une quête sans fin » qui n’a pas un caractère inachevé de fait comme le postule la traduction française de son propos. L’analyse du Commissaire d’exposition met en évidence « une quête sans fin s’offrant des possibilités qui dépassent la statique de l’inachevé ».

Un artiste, selon Massamba Mbaye, doit se porter à se renouveler même dans le même. Il précise qu’il est possible de ne pas changer de thématique mais « plutôt d’explorer les techniques pour voyager d’un lieu à l’autre ». C’est ainsi qu’il ne se répète point.

Le choix d’être artiste n’est jamais simple, note le critique d’art, si tant est que c’est un choix. Pour Cissé, poursuit M. Mbaye, il a fallu d’abord vivre dans l’isolement de l’incompris et de faire face à la figure tutélaire du père qui lui voulait un autre destin : celui de médecin comme lui, par exemple.

Il a dit non. Si on ne fait pas de sa passion un métier, on risque d’être malheureux à l’heure du bilan même avec des lingots d’or en banque.

Sorti avec brio de l’Ecole des arts de Dakar en 1996. Il lui fallut intégrer une académie afin de mieux maîtriser les formes et les couleurs. Il avait ainsi tous les outils nécessaires pour partager sa vision du monde.

« Je peins comme je sens les choses pas comme je les vois. Je ne reproduis pas les couleurs, je les ré-interprète. » dit-il. Le rouge, le bleu, le jaune… sont des interprétations colorées. Il cherche son rouge, trouve un bleu et se réapproprie un pavé jaune.

Le traitement de la couleur est fort singulier chez cet artiste. Il s’offre les luminescences du jour avec la violence des contrastes des artistes urbains qui investissent les murs et les regards qui doivent être littéralement choqués même dans la fugacité d’un passage à pied, à pas pressés voire en voiture. Il est de ces plasticiens qui provoquent l’instant.

Soly Cissé est à l’avenant d’un registre narratif aux confluences de la psychologie analytique et de la transmission de la quotidienneté qui dépasse toute banalité du fait de sa complexité historique, sociologique, politique, économique.

Il préserve dans moult de ses tableaux, un personnage central parfois décalé sur l’axe visuel central qui toise, observe, vous renvoie votre propre regard. Parfois sympathique, parfois inquiétant, constamment fortement chargé, il peut avoir une forme humaine ou hybride.

Les formes corporelles se dégagent tout en étant en fusion comme pour rappeler la lave primordiale, la liquéfaction des débuts et des fins du corps : le pouvoir des « dompteurs » et « possesseurs » de la nature et leur extrême fragilité.

Pour Massamba Mbaye, Soly Cissé épouse tous les registres de la métamorphose. « Il est lieu d’évoquer souvent dans son œuvre la thérianthropie ou zooanthropie. Il s’offre la possibilité de transformer de manière intégrale ou partielle l’humain en animal afin de mieux cerner notre part obscure même si l’animal n’est pas constamment connoté négativement », relève le Commissaire d’exposition.

En mettant en tension les identités animale, humaine et individuelle, observe M. Mbaye, il transpose nos tares, nos affects, nos volutions cachées dans le règne animal ou hybride afin de nous renvoyer autrement à nous-mêmes. L’humain est au cœur de ses préoccupations : la métamorphose s’impose dans la forme qui préserve, dans une certaine mesure, une composante essentielle de l’individu, l’essence. Il est donc possible de croire en l’humain. De garder espoir.