La création, les savoirs et l’art contemporain africain

Felwine Sarr, auteur et professeur d’économie, Dakar, 2017

Les rencontres-échanges s’inscrivent dans le thème général du Dak’art 2022 « Ĩ NDAFFA# /FORGER /OUT OF THE FIRE ». Ĩ NDAFFA s’inspire de I NDAFFAX qui – en langue sérère – invite à la forge. Le terme énonce aussi bien la liberté de transformer que les multiples possibilités du créer. Ainsi est suggérée l’alchimie de la forge et l’action transformatrice qui mène vers une nouvelle étape. Aussi, l’édition 2022 de la biennale de Dakar invite à la transmutation des concepts et à la fondation de nouveaux sens. Forger renvoie à l’acte de transformer une matière, le plus souvent du métal, et dans plusieurs langues, il eut le sens aujourd’hui tombé dans l’oubli de créer, d’imaginer et d’inventer. Il s’agit donc de construire de nouvelles écritures plastiques, de nouveaux savoirs et savoir-faire, qui intègrent les lectures africaines, aux fins de forger des regards et outils susceptibles de nous aider à relever les défis contemporains et aboutir ainsi à la construction sans cesse renouvelée d’un sens nous permettant de mieux appréhender la complexité du monde. A cet effet, les questions qui suivent seront explorées lors des rencontres-échanges de la biennale 2022 de Dakar.

  1. Grammaires de la création, gisements de savoirs et discontinuités dans l’art contemporain Africain

Forger de nouvelles approches de l’Histoire de l’art au XXIe c’est reconsidérer les contextes d’émergence du savoir qui le fonde. Les histoires culturelles africaines n’ont pas suffisamment informé l’appréciation des objets esthétiques de l’art contemporain. Puiser dans les sources des connaissances esthétiques africaines et intégrer ses représentations du monde, ouvrirait la voie à de nouvelles méthodologies et enrichirait le corpus doctrinaire de l’Histoire de l’art. Il s’agit aussi de repenser et donc de réorganiser les temporalités traditionnelles liées à l’histoire de l’Art, en y intégrant des temps composites et non linéaires de l’historiographie Africaine. En somme, il s’agit d’analyser la contribution de l’art contemporain Africain à l’histoire de l’art.

  1. La constitution d’une archive Africaine

Pourquoi constituer une archive africaine ? Comment la constituer, en vue de quoi ? Généralement, le rôle dévolu à l’archive est de préserver le passé et la mémoire des sociétés en conservant sa trace. La question de l’archive sera ici envisagée dans la perspective de la constitution d’une archive pour le futur. Plus que conserver une trace du passé et la préserver des outrages du temps, il s’agit également d’envisager l’archive comme un artefact dont la puissance de germination affecte les temps présents et contribue à la construction des temps à venir. Aussi, il s’agira d’interroger au travers de ses productions artistiques, le rapport des sociétés africaines à la mémoire et à l’oubli, et de questionner la manière dont l’archive est rendue vivante par un art conscient de l’oubli. Celle-ci, en consentant à l’obsolescence d’une partie de la matrice culturelle, libère de l’espace pour la créativité et l’inventivité.

  1. Patrimoine et droits humains

Le débat sur la restitution du patrimoine africain a été concomitant avec plusieurs évènements qui ont marqué l’actualité de ces dernières années, notamment un débat sur la place des statues et monuments dans l’espace public qui s’est posé en Afrique du Sud (Rhodes must fall), aux États-Unis, et en Europe, où des figures du colonialisme sont encore fortement représentées dans l’espace public. Les ombres du racisme et de la violence policière aux USA (mort de George Floyd & Mouvement Black Lives Matter) se sont à nouveau propagées et ceci est à lier avec la nécessaire déconstruction de la matrice des discours et des imaginaires du racisme. Tout ceci interroge le statut et le rôle du patrimoine, sa constitution ainsi que sa sélection au regard de l’histoire. On note une proximité de plus en plus étroite entre le patrimoine, la justice sociale et les droits humains.  Le débat sur la restitution des biens culturels africains, au-delà de la revendication de la liberté de disposer librement des objets créés par sa culture et ses aïeuls, affirme le droit de décider des signes et symboles représentés dans les lieux de mémoire, ainsi que des sens et des significations que l’on souhaite promouvoir, par exemple en évitant ceux dont les discours font l’apologie du racisme. Dans quelle mesure ces débats sont-ils le signe d’une évolution de la notion de patrimoine dont le sens est de plus en plus lié aux questions sociales et aux droits humains, ainsi qu’à la volonté de changer de monde en travaillant sur les symboles, les discours et représentations et leurs effets psychiques, ainsi que la pluralité des significations des évènements historiques ?